Jean-Pierre DOUCET

Chères et chers collègues,

C'est avec tristesse que nous apprenons le décès de notre collègue Jean-Pierre-Doucet à l’âge de 86 ans. Jean-Pierre a effectué l’essentielle de sa carrière à l’Université Paris Diderot comme enseignant.

Depuis 57 ans au laboratoire (comme il disait : ITODYS un jour, ITODYS toujours !) il développait des activités de recherche fondamentales dans le domaine de la chimie informatique (ou chémoinformatique) discipline qui cherche à traiter des données issues de systèmes chimiques, à les analyser par des méthodes informatiques et, en particulier à établir des corrélations entre ces données pour en retirer ces informations utiles pour le développement de nouvelles molécules. Ces méthodes sont donc particulièrement utiles en pharmacologie pour guider le développement de nouvelles molécules actives et pour la prédiction de propriétés à partir des structures moléculaires.

Les travaux de Jean-Pierre font résonance à un passé illustre du laboratoire puisqu’ils s’inscrivaient largement dans le sillon tracé par Jacques Emile Dubois avec le développement du système DARC. En cela, les méthodes que Jean-Pierre développait et utilisait étaient les ancêtres de ce que nous redécouvrons maintenant dans toutes les branches de la chimie et que nous appelons l’apprentissage machine (ou machine learning). Jean-Pierre s’appliquait à développer des méthodes de relation quantitative structure à activité (Quantitative structure-activity relationship ou QSAR). Ces méthodes, non quantiques, permettent très rapidement de relier une structure chimique avec son activité biologique ou sa réactivité chimique. Toute sa vie de chercheur Jean-Pierre l’a mise à profit pour développer des méthodes originales non-linéaires, rapides et performantes pour différentes applications (Neural Networks, Support Vector Machine, Regression Splines, Projection Pursuit, General Regression NN, Radial Basis Function NN …). Ces méthodes constituent le corpus du Machine learning et ont conduit à de nombreux résultats dans différents domaines d’applications (par exemple : propriétés de nanoparticules, lutte contre certains vecteurs responsables de maladies graves et à diffusion extrêmement rapide). Il est intéressant de noter que, au fil des années, plutôt que se focaliser sur l’élaboration d’une bonne corrélation valable dans des conditions bien définies (famille de composés et conditions bien précisées) Jean-Pierre s’est attaché à des aspects méthodologiques pour étendre le domaine d’application de ses modèles. Il a pu présenter des concepts originaux très novateurs et en démontrer la généralité. Jean-Pierre avait acquis une très bonne reconnaissance dans le domaine et établi de nombreuses collaborations (Université de Toulouse, Fort de France, Varese, Genève, CTIS Lyon, Université de Shanghai, Lanzhou).

Ses recherches ont conduit à 178 publications et de nombreux chapitres de livre. Après son départ à la retraite en Septembre 2003, Jean-Pierre était resté actif et venait souvent au laboratoire pour y développer ses travaux. Sans compter les articles publiés, on peut dénombrer 24 chapitres de livre publiés et deux livres de 530 et 480 pages.

Même si depuis la crise sanitaire sa présence au laboratoire se faisait moins fréquente, Jean-Pierre était toujours actif et avait des projets et travaillait activement en l’établissement d’une « super-banque » de données d’un très large spectre de près de 7000 composés concernant le pouvoir répulsif vis à vis des moustiques (Aedes Aegypti : dengue, chikungunya, …..). Ce travail collaboratif avec une équipe de l’Université Paul Sabatier et de Lyon le motivait particulièrement et un chapitre de livre était en préparation. Jean-Pierre était très attaché au développement de la modélisation à l’interface avec la biologie. Dans son domaine, il y voyait un formidable vecteur de développement de ses méthodes QSAR et depuis la première publication du laboratoire au J. Am. Chem. Soc. en 1972 (A Quantitative Study of Substituent Interactions in Aromatic Electrophilic Substitution. I. Bromination of Polysubstituted Benzenes, JACS 1972, 6823) portant sur la prévision de prévision de propriétés (réactivité, spectroscopie, activité pharmacologique…) à partir de calculs de Huckel, il a poursuivi sans relâche le développement des méthodes de corrélation non-linéaire redevenue tellement à la mode aujourd’hui.

La trajectoire de Jean-Pierre démontre, s’il le fallait, que rester fidèle à ses idées de recherche est la seule manière de redevenir à la mode et que la recherche est un éternel recommencement avec bien sûr, une vision différente.

Jean-Pierre était également très intéressé par la spectroscopie et avait milité pendant de longues années pour que le laboratoire puisse se doter de spectromètres à Transformée de Fourrier (en Infra-Rouge et RMN multi-noyaux). Il a également enseigné à différents niveaux (licence, maitrise, DEA) et s’est investi dans différentes des tâches administratives : commissions et conseils de l’Université, chargé de mission, direction de l’UFR et du Centre de Jussieu d’initiation à l’enseignement supérieur, ce que l’on appelait le CIES l’un des plus importants des 14 centres de France à l’époque.

Jean-Pierre était attaché à toutes ces facettes du métier et se nourrissait d’un attachement viscérale à « l’école de la république » avec tout ce qu’elle peut ouvrir comme perspectives à celui ou celle qui veut saisir sa chance. Au-delà des qualités individuelles, Jean-Pierre était attaché au collectif et il tirait du rugby une parabole pour la vie : accepter à titre individuel d’en « prendre plein la figure » pour que l’EQUIPE progresse d’un mètre. Mais aussi, respecter assez l’adversaire pour boire avec lui à la fin du match !

Je salue sa mémoire et je m’associe à la douleur de sa famille à qui j’adresse au nom du laboratoire mes plus sincères condoléance. Mes pensées vont également à Annick Panaye, notre collègue, qui partageait sa vie.

Bien cordialement,

F. Maurel